Rencontre en Corse
Francesca Desideri, une sorcière bien aimée
Par Sylvia Cagninacci
Amore Piattu, le language des plantes
Petite, Francesca, sur les genoux de ses frères et sœurs, écoutait les contes qu’inventait son père en regardant le feu crépiter. Elle ne les a pas oubliés et en transmet quelques uns dans son livre « Amore Piattu » paru en 2019 au Editions d’Octobre. Des histoires de chèvres, de renards, de mouflons et d’émigrés italiens roublards. Mais son père n’était pas seulement un conteur hors pair.
Lors de leurs balades au San Petrone, et pendant la transhumance, il l’a aussi initié aux mystères de la gentiane, du bouillon blanc, de l’ancolie de Bernard et toutes les autres fleurs du maquis. « Chaque plante naît dans sa propre langue » lui disait-il. Francesca, la jeune bergère, les a toutes apprises. Aujourd’hui, dame d’un âge respectable, elle nous dévoile le langage de ces grandes silencieuses parmi lesquelles elle a poussé en nous servant du jus de pomme sur la grande table de bois, à l’ombre des longues branches d’un tilleul.
L’eau de pluie qui guérit
Née dans le canton de Casinca, Francesca n’a jamais quitté Querciolo, son village natal. Elle y habite une grande maison, plantée au milieu d’un grand jardin, sur la route qui mène à la mer.
Francesca aime raconter, elle aussi. De sa voix claire, elle nous fait rêver en nous parlant des repas de bergers sous les ciels d’août criblés d’étoiles, de l’eau de pluie qui, recueillie dans les cupules des rochers de haute montagne guérit l’année des treize lunes verrues, entorses et plaies purulentes.
Elle s’interrompt pour saluer son frère qui dépose deux cagettes remplies d’abricots. « C’est pour les confitures », nous explique-t-elle. Puis ce sont ses neveux qui arrivent, armés d’une débroussailleuse. Ils viennent aider. Elle leur donne des ordres, gentiment.
Francesca est de ces personnes, autour desquelles le monde s’agite et s’organise. Lorsqu’elle nous emmène au potager, elle encourage au passage les arbres fruitiers : « à eux de trouver dans le sol la force de vivre. Ici ils ont tout ! Le soleil, l’eau, la terre. Moi, je les aide à grandir avec mes mots ».
Intarissable sur la façon de cuisiner les herbes, en soupe, en beignet, en omelette, elle s’avoue aussi sorcière. Ce qu’elle sait lui a été transmis par les femmes, aux veillées de Noël.
Elle a trouvé sa fille spirituelle et pense à un nouveau livre… Elle ne fait pas de mystère là-dessus. Francesca aime la simplicité.
La cabane magique
Au milieu de son jardin, elle a fait construire un petit chalet en bois. A l’heure de la médiatisation de tout, via les réseaux sociaux, Francesca Desideri aurait-elle succombé au désir d’incarner la sorcière de Blanche Neige ?
Non. Décidément pas. Elle partage son émerveillement.
Ici, le fugone pour cuire les migliacciole, là, les bouquets d’immortelle et d’erba santa qui sèchent la tête en bas, sur les étagères dans les bocaux, les macérations d’erba barona, les décoctions de Murzu, et d’autres herbes séchées pour des infusions de toutes sortes.
Dans un coin de vieux outils et quelques bâtons de marche légers et solides taillés dans des tiges de férule, ainsi que des coupelles en noisetier tressées où s’égouttaient les fromages frais.
Au mur, des photos d’hommes et de femmes nous emmènent loin en arrière.
Les gestes venus de la nuit des temps
La lumière, tamisée par les rideaux jaune paille qui ornent les petites fenêtres pose sur les objets et les visages d’autrefois une douce patine dorée.
L’air chaud vibre du chant des cigales.
Le parfum des plantes nous fait tourner la tête et ouvre nos cœurs, tandis que nous nous laissons bercer par la voix de Francesca qui explique, encore et encore : le geste pour faire mûrir le fromage, le moyen de garder constant le feu sous la marmite de soupe, la façon de rassembler les rameaux de buis pour en faire des balais inusables, le temps de cuisson des différentes herbes…
Francesca, dépositaire de connaissances ancestrales, ne surjoue rien. Elle ne parle qu’une seule langue : celle de l’amour et de la sincérité. Et elle n’est jamais fatiguée !